Santé mentale : une nouvelle responsabilité pour les marques ?
"Pourquoi et comment les acteurs de la communication doivent limiter leur impact pour le bien de nos esprits ?"
Longtemps perçue comme un sujet tabou, la santé mentale est aujourd’hui une préoccupation majeure des sociétés occidentales. Premier pôle de dépenses de l’assurance maladie, l’OMS prévient : une personne sur trois sera victime de troubles psychiques au cours de sa vie.
Depuis la crise sanitaire, les questions de santé mentale occupent tous les esprits. Que ce soit à travers les politiques publiques ou des témoignages de célébrités sur les réseaux sociaux, la médiatisation du sujet est inédite.On voit d’ailleurs qu’un grand nombre de marques surfent sur ce business de la psyché déjà décrié.
Au cœur des attentions, la publicité ! Celle-ci serait, en effet, en partie responsable de certaines pressions psychologiques dont les consommateurs seraient victimes. L’accusation serait cependant à nuancer car des méthodes de communication saines et vertueuses sont aujourd’hui plus largement plébiscitées par les acteurs de la com’.
Mais cette question demeure : les marques peuvent-elles vraiment agir pour limiter leur impact sur la santé mentale des consommateurs ? Et si oui ? Comment ?
Libération de la parole : pourquoi maintenant ?
Une fois n’est pas coutume, c’est la pop culture qui a amené le sujet sur le devant de la scène. Depuis quelques années, des célébrités comme Selena Gomez, Naomi Osaka ou Britney Spears révèlent ouvertement leurs problèmes d’anxiété ou de dépression via les réseaux sociaux, incitant parfois leurs followers à faire de même.
Plus souvent considérées comme des plateformes propices au cyber-harcèlement, plutôt qu’à des “safe spaces”, Twitter et d’autres réseaux se sont métamorphosés en immenses groupes de parole, permettant à de nombreux internautes de témoigner pour extérioriser leur mal-être et peut-être trouver une épaule communautaire sur laquelle faire reposer leurs angoisses.
L’essor de l’industrie du bien-être, méditation et développement personnel en tête, a joué un rôle prépondérant dans la levée des barrières qui encerclaient les enjeux de santé mentale.
Là où le sujet était plus que tabou il y a encore des années, il est aujourd’hui (re)mis sur le devant de la scène, permettant une prise de conscience profonde de la part de tous. Notamment de la part des acteurs de la communication.
Slowing is caring
Conscients de leur responsabilité dans l’accroissement des troubles mentaux, annonceurs et publicitaires renoncent peu à peu à recourir à des méthodes douteuses sinon dangereuses… Petit à petit, le consumérisme à outrance cède sa place à l’information, et plus encore qu’un outil de vente, la publicité retrouve sa fonction première : communiquer.
Bien connu dans nos contrées, le FOMO ou “Fear Of Missing Out”, cette angoisse de rater un événement ou de louper la dernière tendance perd du terrain au profit de son nouvel ennemi : le JOMO : “Joy Of Missing Out”. La joie de prendre le temps, de revenir à un mode de consommation plus lent mais aussi plus raisonné, s’incarne dans des tendances comme la slow fashion ou encore la slow food. Une frange grandissante de la société privilégie désormais la qualité et la responsabilité de ses achats et les marques changent d’attitude. Les consommateurs reprennent le pouvoir et évaluent les marques à force de notes et de scores. Le baromètre Wavestone 2021 nous révèle par exemple que 42% des consommateurs français utilisent des applis d’évaluation de produits comme Yuka, et 73% souhaitent consommer plus responsable.
Plus de transparence pour moins d’achat à outrance
Après avoir optimisé le processus de production pour garantir l’impact humain et environnemental le plus faible, les marques doivent aussi revoir toute la stratégie de vente et de communication pour en faire un “cycle vertueux”. L’objectif n’est pas de pousser l’achat à outrance mais bien d’accompagner les consommateurs vers un achat plus raisonné.
Pour ça, la première étape consiste à les faire réfléchir, par exemple en leur proposant des outils de recherche et de comparaison basés sur leurs besoins et en leur donnant un maximum d’informations sur les produits.
En revanche, si l’achat “responsable” peut apaiser quelques consciences, notamment celles des plus éco-angoissés, il ne constitue pas à lui-seul un barrage aux troubles mentaux générés par le besoin irrépressible de posséder, voire d’accumuler. Au contraire, cela peut parfois avoir l’effet inverse : l’acheteur se sent déculpabilisé de consommer “éthique” et a donc l’impression qu’il peut déchaîner ses pulsions. Difficile alors de ne pas être aspiré dans cette spirale faite de conversations Vinted et d’alertes Leboncoin qui trottent sans arrêt dans votre esprit.
Les témoignages d’utilisateurs Vinted sont d’ailleurs assez révélateurs de cette charge mentale que peut déclencher le business de la seconde main.
Finalement la bonne pratique (ou dirons-nous la moins mauvaise) consiste à informer le consommateur en le laissant prendre son temps, sans chercher à le faire consommer plus que son besoin. Pour rester dans l’exemple de la mode vestimentaire, le concept de saisons ou encore celui de basiques dans une garde-robe, mis à mal par la fast fashion, permettent de retrouver un rythme d’achat plus raisonné.
Renoncer aux mécaniques addictives
Grâce à un rythme d’achat plus raisonné et durable, notre consommateur commence déjà à se sentir plus apaisé. Son esprit plane mais avant de toucher la béatitude, une sonnerie le ramène sur terre. Sa frénésie consumériste l’envahit de nouveau tandis qu’il se rue sur son téléphone.
Le coupable ? Les notifications !
Le cerveau humain n’est pas multitâches et ces sollicitations permanentes perturbent son fonctionnement : selon les travaux menés par la chercheuse Gloria Mark à l’Université de Californie en 2008, une personne dérangée par une notification met 23 minutes à retrouver son niveau de concentration maximal.
Sachant que nous consultons notre smartphone plus de deux-cents fois par jour en moyenne, le cerveau est continuellement mis à l’épreuve.
Des lanceurs d’alerte ont d’ailleurs participé à une prise de conscience collective. “Nous avons créé des boucles déclenchant des réactions de court terme nourries à la dopamine (hormone de la récompense) qui sont en train de détruire le fonctionnement de la société”. Chamath Palihapitiya, ancien vice-président en charge de la croissance de l’audience de Facebook.
Déconnexion, seule solution ?
De nombreux individus font ainsi le choix de la déconnexion, en supprimant certaines applications, en désactivant les notifications ou en retournant vers les anciennes générations de portables : les features phones.
D’autres solutions UX existent pour soulager l’esprit du consommateur. Les designers d’applications notamment, proposent à l’utilisateur de paramétrer ses notifications au moment de l’installation en ne gardant que les essentielles, en les rendant silencieuses et sans vibreur, ou en ne les affichant pas sur l’écran de verrouillage… L’objectif est d’être le moins intrusif possible.
De même, il faut éviter le recours à des interfaces trop addictives comme le scroll infini, qui kidnappent l’attention des users. De grandes plateformes et réseaux sociaux commencent à prendre en compte ces problématiques. Youtube a par exemple supprimé le scroll infini et le compteur de “dislikes”, espérant ainsi lutter contre le harcèlement en ligne.
Favoriser l'inclusivité
Œuvrer pour la santé mentale implique également des efforts d’inclusivité. L’exclusion et le harcèlement sont des facteurs de mal-être courants, spécialement chez les plus jeunes qui construisent encore leur identité.
Influencées par la culture Woke, les générations Y et Z sont par ailleurs demandeuses d’une société plus inclusive. Une large majorité des moins de 35 ans considère que les entreprises doivent prendre soin de ne vexer personne dans leur communication, spécifiquement en matière d’apparence physique et d’identité sexuelle ¹.
Certaines enseignes de lingerie par exemple ont compris le besoin de représenter les femmes dans leur diversité. De célèbres enseignes, qui véhiculaient jusqu’ici un idéal rétrograde et fantasmé du corps féminin, réalisent désormais des campagnes qui montrent la société avec plus de réalisme: représenter au lieu de normer.
S’affichent enfin fièrement tous les âges, cultures, morphologies et tout ce que la publicité a banni sans raison depuis des décennies : la cellulite, les vergetures, les tatouages…
Au-delà de célébrer la body positivity, des entreprises ont compris ce vrai besoin de re-penser/panser la mode, en intégrant pleinement la diversité dans la conception de leurs produits.
En 2020, Etam a ainsi créé une collection et une campagne publicitaire spécialement destinées aux personnes ayant subi une mastectomie. “Il faut arrêter de vouloir tous ressembler à la même chose ! Je pense que c’est important de s’affirmer, de croire en nous” déclare une modèle de la campagne.
Si certaines marques se sont emparées du problème à bras le corps, l’Etat y a quand même ajouté son grain de sel, en obligeant notamment les annonceurs à prévenir explicitement leur audience quand ils diffusent des photos retouchées.
La santé mentale : quelle représentation ?
Alors qu’une personne sur cinq déclare que sa plus grande inquiétude dans la vie est sa santé mentale, il est légitime que les marques veillent à prendre en compte ce sujet.
Mais là encore, attention aux conséquences de ces prises de parole.
Comment représenter correctement les situations complexes que vivent ces individus sans dramatiser leurs souffrances ?
La réponse est simple : éviter la caricature !
Les clichés à propos de la santé mentale sont nombreux et véhiculent de fausses idées sur les personnes en souffrance et la manière de les aider. L’anxiété ou la dépression par exemple touchent les individus différemment, et des visuels complètement impersonnels sortis de banques d’images ne reflèteront jamais la réalité. Montrer des personnes isolées, dans le noir ou pleurant sous la pluie alimente une vision faussée et pousse encore la stigmatisation.
Sport et relaxation comme garants d’un équilibre psychique : attention aux raccourcis.
De même, il faut cesser d’associer systématiquement le bien-être au sport ou à la relaxation. Le fait de réduire l’équilibre mental à la pratique du yoga et de la méditation néglige le besoin d’accompagnement médical et banalise des situations de souffrance aux facteurs complexes.
La Fondation pour la Recherche Médicale estime ainsi que les troubles psychologiques comme l’addiction doivent être considérés comme des maladies et que les patients nécessitent une prise en charge. L’enjeu est donc de ne jamais tomber ni dans la banalisation ni dans la stigmatisation, en un mot, ne jamais grossir le trait.
L’exercice est difficile : comment représenter une situation si personnelle pour un grand public, d’autant plus que les souffrances résident dans la tête de chaque individu ?
Après tout, la meilleure façon de représenter les troubles mentaux, c’est peut-être de ne pas les représenter.
Conclusion
À l’heure où la santé mentale est un sujet majeur de société, amplifié par la crise sanitaire du Covid 19, annonceurs et publicitaires ont un rôle à jouer pour le bien de tous. L’enjeu prioritaire est de limiter le stress et la pollution mentale qu’ils peuvent causer aux consommateurs, mais il est possible d’aller encore plus loin. Des marques très influentes peuvent se servir de leur notoriété et de leur “force de frappe” pour informer, démystifier et donner la parole aux experts ou aux personnes en souffrance.
Attention tout de même à ne pas se contenter d’un discours de façade et de ne pas tomber dans un “mental health washing”. La sincérité de la démarche doit apparaître à tous les niveaux de l’entreprise, de la conception des produits à la gestion du personnel. Sa communication n’est que le dernier maillon de la chaîne et doit incarner honnêtement la culture d’entreprise.
Sources :
Wavestone – Baromètre des nouvelles tendances de consommation 2021
Madame Figaro – La charge mentale de Vinted : elles ont fini par lâcher l’appli
The Cost of Interrupted Work: More Speed and Stress
France 24 – Un ancien dirigeant de Facebook affirme que le réseau social est « en train de détruire la société »
Le Monde – Qu’est-ce que la pensée « woke » ? Quatre questions pour comprendre le terme et les débats qui l’entourent