Brand identity : Des mois pour l’imaginer, 10 secondes sur Tiktok pour y renoncer
En 2020, le grand public découvrait Tiktok et son univers complètement déluré. Rupturiste et en avance sur les usages de son temps, le réseau semblait trop nébuleux pour que les marques lui accordent une vraie crédibilité. En 2021, il a néanmoins fallu se rendre à l’évidence : Tiktok a fait ses preuves et n’est plus une curiosité éphémère.
Il est même devenu un élément intégral de la pop culture teenager et l’un des médium le plus influent auprès de la nouvelle génération.
2022 devrait donc devenir l’année des marques sur Tiktok. Avec un taux d’engagement moyen de quasiment 20%, elles auraient tort de s’en priver. Mais pas n’importe comment ni dans n’importe quelles conditions. Tiktok, c’est le territoire de la Gen Z ! Une génération avec des codes, des références et des usages qui leur sont propres. Or, inutile de vous dire qu’on ne les bouleverse pas autant et si bien que les marques qui s’étaient lancées sur Facebook ou Instagram à l’époque ont pu le faire.
Tiktok impose sa personnalité, ses propres règles du jeu, et ce sont bel et bien les Z qui font la loi, mais pas les marques.
Tour d’horizon des quelques règles de conduite à adopter sur Tiktok et des opportunités pour les marques qui accepteront de se laisser tenter par l’aventure.
Qui contrôle le terrain ? Les Z
Si son audience tend à se diversifier de plus en plus au regard du critère âge, il n’en reste pas moins que Tiktok est toujours un réseau très jeune. Les derniers chiffres à date ont établi que 75% des utilisateurs ont moins de 24 ans, et plus spécifiquement, que 38% ont moins de 17 ans.
Assez sommairement, nous avons tendance à appeler cette tranche de la population la « Gen Z », comme si elle formait un tout absolument inséparable, sans dissemblance et sans aspérité.
Pourtant, il conviendra que le quotidien et les centres d’intérêts du rappeur français Oboy 25 ans, et ceux de l’influenceuse Charli D’Amelio, 17 ans, sont foncièrement différents. Evidemment, les deux appartiennent à cette fameuse « Gen Z ».
@charlidamelio i can’t believe #stepintothemovies is out tomorrow enjoy @derekhough and i doing the iconic #dirtydancing ♬ The Good Part – AJR
Derrière cette petite digression se cache une énorme nuance qui donne à imaginer les innombrables sujets de discussions qui animent la plateforme. Tiktok ce n’est plus uniquement des chorégraphies ubuesques ou des challenges absurdes, c’est aussi d’énormes communautés littéraires qui se retrouvent derrière le hashtag #Booktok, des fans de jeux de société, de mécanique, de haul, de décoration, de maquillage, de finance, de cinéma, bref, tout un tas de sujets très différents. Certains topics sont d’ailleurs d’une maturité surprenante. On y parle de géopolitique, de mythologie grecque, d’élections présidentielles et même d’Excel. Oui, Excel, le tableur.
S’adapter à une cible jeune ne signifie donc pas forcément de tomber dans le régressif, mais plutôt de comprendre ce qui les anime, ce qui les divertit et ce qui peut servir de matière à être exploité voire remixé.
@manonbrilcuah Vous me dites en com, vous connaissez #histoire #tiktokacademie #mythologie ♬ Call me – 90sFlav
Me, myself and I
Justement, s’il y a bien une chose sur laquelle cette génération s’accorde, c’est sa clairvoyance quant à sa capacité d’être créative. 51% des Z considèrent que leur génération est plus créative que les générations précédentes (source : JWT intelligence 2019). À ce titre, les nombreux outils d’édition, les filtres et le catalogue de musiques proposés par la plateforme deviennent de sérieux moyens d’empowerment.
Alors que le montage et la production audiovisuelle étaient jusqu’alors dédiés aux professionnels (et aux marques par extension), Tiktok a permis à de parfaits amateurs de se mettre en scène au travers des contenus originaux, de qualité, sans aucun bagage technique.
Cette donnée est très structurante pour les marques car elle a de nombreuses répercussions sur l’écosystème de la plateforme.
Premièrement, cette tendance alimente une culture du « moi » déjà très présente au sein de cette génération. En témoigne l’usage systématique du hashtag #pourtoi (585 Milliards de vues), censé considérablement améliorer son référencement dans le feed. Deuxièmement, on observe qu’il est du coup beaucoup plus facile de devenir influenceur sur Tiktok et de créer rapidement sa propre communauté que sur d’autres réseaux saturés comme Instagram ou Twitter. Une petite expérience menée par nos soins sur le compte de France TV Slash nous a d’ailleurs confirmé que les vidéos qui avaient les meilleures performances étaient toujours incarnées.
C’est certainement ce qui incite aujourd’hui les marques à faire confiance aux jeunes et à leur donner les clés du camion. Une petite révolution pour elles mais une concession nécessaire pour émerger sur la plateforme. Pour le moment, deux modèles d’animations et de création de contenus cohabitent :
- Incarner la marque par un ou un plusieurs community managers de la maison, habiles avec l’outil et très à l’aise à l’idée de se mettre en scène. C’est par exemple le cas de Fruitz, l’application de rencontre, qui laisse carte blanche à ses social media managers.
Fruitz
@fruitz_app #humour Tant qu’il y a du respect et surtout de l’amour, ce n’est pas si grave 😉❤️ #pourtoi #friends #fruitz ♬ son original – Fruitz_app
- Tout miser sur une stratégie d’ambassadoriat en construisant sa ligne éditoriale sur des contenus créés par des influenceurs populaires de la plateforme. Rien de bien nouveau à première vue, à la différence notable que ces contenus sont postés sur le compte de la marque et non pas sur celui des influenceurs. On retrouve ce modèle chez de nombreux acteurs, à commencer par McDonald’s.
Mcdo
@mcdonalds hi welcome to mcdOalds #mcd #mcdonalds #mcdoalds @Emily’sTikTok.edu ♬ original sound – McDonald’s
Jamais en marge, toujours dans la tendance
Depuis sa création, Tiktok a diversifié ses usages. De nouveaux modèles publicitaires ont fait leur apparition : il est désormais possible d’y faire du live et la durée maximale des vidéos est passée de 15 secondes à 3 minutes. Si l’application évolue, elle porte toujours l’empreinte de ce qui avait fait sa renommée à ses débuts, à savoir les tendances et les challenges.
Dans ses offres media, Tiktok propose d’ailleurs aux marques de promouvoir leur propre challenge et d’inviter la communauté à y participer. Seulement, entre les idées imaginées par une régie publicitaire et celles imaginées par la communauté, il y a un gap de créativité qui n’enchante pas forcément les utilisateurs. Certes, certaines expériences portées par des marques ont déjà eu des échos honorables, mais force est de constater qu’elles n’ont jamais connu un impact qui dépassait la durée de la campagne.
Ici encore, les marques doivent donc accepter de ne pas tout contrôler et d’oser faire un pas de côté. Elles devront concéder que des idées sorties de l’imagination d’un ado de 15 ans seront toujours plus pertinentes que celles issues de 2h d’un brainstorming animé par des trentenaires. D’autre part, elles devront accepter d’être des suiveurs de tendances plus que des instigateurs.
Habituée du genre, Givenchy rebondit dans cet exemple sur une tendance « satifsying » bien connue du réseau. Alors que les tiktokeurs s’amusent à lancer des balles dans des verres ou des pièces dans des tirelires, Givenchy s’amuse à lancer des bouchons sur les tubes de ses lipsticks.
Givenchy
@givenchybeauty Lipstick goals. #givenchybeauty #makeup ♬ The Way I Love More – AZELLA
De son côté, Oreo livre son interprétation de la trends « accidentaly » qui met le doigt sur les limites de la résilience quant il s’agit de nourriture.
Oreo
@theoreoofficial Don’t you just hate when that happens? #oreo #oreocookies #oreotok ♬ Sad violin ballad – Inumori
Quand on vous dit « don’t be boring »
Au-delà des tendances et des challenges, les utilisateurs façonnent aussi complètement la façon dont les contenus doivent être traités. Tout à son honneur, la génération Tiktok est la seule à avoir accepté (peut-être de manière involontaire) que notre capacité d’attention a drastiquement diminué en 20 ans, passant de 13 secondes en 2000 à 3 secondes en 2020 (source : Tiktok). A noter, celle du poisson rouge est de 8 secondes, mais le débat n’est pas là. Ce qui est intéressant ici, c’est de se rendre compte à quel point le réseau a cristallisé les codes les plus extrêmes de la concurrence, dans le but de favoriser la consommation à outrance : Le rythme intenable du montage et l’humour potache des youtubeurs, le scroll vertical et sans fin d’Instagram, les couleurs et l’ambiance sonore des programmes jeunesses, le format court et sens de la débrouille de Snapchat.
Bref, sur Tiktok, tout doit être passé au filtre du divertissement, quitte parfois à rester en surface d’un sujet.
Pour s’en rendre compte, il suffit de se pencher sur les nombreux comptes de vulgarisation historique ou scientifique. Dans cet exemple, Whats Up World balaye plusieurs faits à un rythme effréné. La formule est gagnante : pas le temps de s’ennuyer et l’essentiel de l’info est passée.
Whats Up World
@whatsup.world Laquelle préfères-tu ? #whatsupworld #tiktokacademie #info #cultureg #anecdote ♬ Coffee Shop – Late Night Luke
Enfin, plus profondément encore, les Tiktokeurs semblent complètement ré-inventer la façon dont nous consommerons les contenus dans les mois et années à venir, au-delà de l’application :
D’abord par sa faculté à créer des contenus au montage dynamique, rythmée par une musique de fond et qui dépassent rarement les 20 secondes. Ces contenus se retrouvent aujourd’hui sur tous les réseaux, à commencer par les Reels d’instagram dont les guidelines d’utilisation sont très similaires à celles de son concurrent (mais que les créateurs de contenus préfèrent réaliser sur Tiktok.)
Ensuite par sa capacité à créer des modes qui dépassent le réseau : Les micro trottoirs, longtemps catalogués comme désuets, reviennent en force sur Instagram. Evidemment, il ne faut pas chercher trop loin la source de leur renaissance. Le hashtag #microtrottoir cumule initialement 2.3 milliards de vues sur Tiktok.
Être vieux pour les jeunes et bientôt jeune pour les vieux ?
Sur le papier, se lancer sur Tiktok en 2022, ça a tout de la bonne idée. Le réseau n’est pas saturé, le champs d’expression créatif est une superbe opportunité pour les marques de créer de nouvelles connexions avec la gen Z et contrairement aux autres réseaux, l’algorithme de Tiktok a été imaginé pour niveler la visibilitée vers le haut plutôt que d’adopter une stratégie « paid to be seen ».
En revanche, afin de partir à l’abordage du réseau, les marques devront faire quelques concessions et renoncer à certaines de leurs habitudes de communication. La Gen Z a réinventé de façon structurante les règles en matière de création et consommation de contenus. Se lancer sur Tiktok, c’est accepter de mettre de côté une partie de sa brand identity au détriment de tendances et codes dictés par cette nouvelle génération. Jusqu’au jour où vos parents et grands-parents arriveront sur le réseau. Mais ça, nous en reparlerons en temps voulu.