Femmes et publicité : on révise le brief !
Aussi adulée que décriée, la publicité ne laisse personne indifférent. Et pour cause : avec une exposition quotidienne moyenne à 1200 messages publicitaires, difficile d’y échapper ou de nier son rôle dans le modelage de la société.
Naviguant sur la sempiternelle et manichéenne frontière entre bien et mal, la publicité se retrouve depuis peu confrontée à un numéro d’équilibriste inédit, tiraillée entre convenance et avant-garde. Car après avoir longtemps été un reflet de la société, reproduisant mécaniquement ses schémas, la publicité a désormais la responsabilité de rompre cette relation d’interdépendance toxique qui freine toute émancipation, qu’elle soit idéologique ou sociétale. Dans un contexte où l’égalité femmes-hommes est la grande cause du quinquennat, quelle place la publicité peut et doit jouer dans l’évolution vers une plus juste représentation des femmes, moins biaisée et par conséquent moins sexiste ?
Et si on arrêtait de vendre des burgers avec des femmes nues ?
La publicité vend. Au cœur de son offre : le corps des femmes. Une réalité d’autant plus grande que le secteur est considéré comme étant masculin. Une posture de femme-objet pouvant être vue comme dégradante, humiliante et créatrice d’une déformation de perspective : 82% des femmes ont le sentiment que la publicité leur crée des complexes.
L’opinion publique estime que les marques, qui ont le pouvoir de façonner la société, ont une véritable responsabilité sociétale. Pour se faire entendre et convaincre de la nécessité de s’affranchir des stéréotypes de genre, une guérilla féministe se mène sur internet et en particulier sur les réseaux sociaux, qui dénoncent de plus en plus systématiquement les prises de parole sexistes. Une stratégie payante qui implante de plus en plus de critères éthiques dans la consommation. Selon l’étude Earned Brand 2018, 65% des consommateurs Français consomment désormais les marques en fonction de leurs convictions.
De dynamique d’interdépendance toxique à changement sociétal pérenne ?
Perçu et appréhendé par les marques, l’exercice n’en reste pas moins complexe et délicat, tant les acteurs de la publicité sont prisonniers d’un double miroir. Le risque ? Tomber dans le piège du « femwashing », l’instrumentalisation de problématiques féministes dans une tentative de séduction des consommateurs avides d’engagement. Il n’est pas exagéré de parler de piège, puisque sans soulever les questions éthiques posées par une telle démarche, il faut savoir que le public n’est pas seulement plus exigeant qu’auparavant, il est aussi plus informé et sait désormais décrypter et analyser les ressorts de la communication, et le moindre soupçon de fausse note peut menacer l’équilibre fragile d’une communication engagée.
Femvertising, femwashing : un équilibre fragile.
Même la plus superficielle analyse des cas de « femwashing » permet de le constater : il y a des lacunes dans la compréhension des enjeux à tous les niveaux de création. La bonne nouvelle, c’est que nous pouvons en tirer des leçons !
Pour commencer, considérer qu’il existe des « sujets féministes » ou « sujets de femmes », c’est déjà un premier pas vers le cliché de genre. 50% de la population française étant composé de femmes, et chaque femme étant animée de besoins, envies et motivations différentes, toute communication peut les concerner. Par conséquent, il n’existe pas réellement de « sujet féministe ». C’est l’erreur commise dans les publicités pour lessive, produits d’entretien et produits pour bébés puisque la très large majorité d’entre elles s’adressent aux femmes, a conclu l’étude AdReaction de Kantar.
Penser et raisonner de cette façon est dangereux, puisqu’au lieu d’anéantir les clichés, on risque de les renforcer, de les inverser ou même d’en créer de nouveaux.
En voulant émanciper la femme de son image de mère ou de ménagère des années 1950, l’industrie publicitaire l’a transformée tour à tour en pin-up, en femme émancipée, et en femme polyvalente. Autrement dit, la publicité n’a jamais ouvert la cage dans laquelle sont enfermées les femmes, elle s’est contentée d’en changer les couleurs au fil des tendances.
La solution ? Arrêter de classifier, d’opposer, genrer. En d’autres termes, il est grand temps de mettre les stéréotypes au placard !
WANTED : stéréotype.
Si on veut éviter de retomber dans ses vieux travers et de s’en remettre aux stéréotypes, la meilleure façon de s’y prendre c’est encore de les abolir. Ça commence par une remise en question des codes historiques du marketing. Si leur raison d’être et leur efficacité par le passé n’est plus à prouver, est-ce toujours d’actualité ? Les féminités, les masculinités et les beautés sont plurielles. Les identités sont fluides. En conséquence, notre mode de segmentation semble de plus en plus obsolète.
Exercice réussi pour Nike aux Etats-Unis. Après avoir défrayé la chronique en mettant en scène Colin Kaepernick dans Dream Crazy, la marque va encore plus loin avec Dream Crazier. Puisqu’une partie de la société insiste pour dire des femmes ambitieuses et combatives qu’elles sont folles, la marque, à travers une vidéo narrée par Serena Williams et montrant les grandes athlètes de l’histoire, propose de redéfinir ce terme et d’en faire un synonyme de courage. D’après une étude menée par RealEyes sur les deux campagnes, Dream Crazier a suscité un plus haut niveau d’engagement émotionnel (8/10 contre 7/10) et a même été évaluée comme étant plus populaire (7/10 contre 6/10) que Dream Crazy auprès… des hommes !
Il serait également intéressant de sortir du sacro-saint triptyque « genre / âge / CSP » et d’envisager de nouvelles typologies de consommateurs, rassemblés par des passions, valeurs ou comportements communs. C’est ce qu’avait réalisé IKEA en 2017 avec Place à la vie. Une vidéo qui n’avait « rien de marquant » si ce n’est son esthétisme. Et c’est bien normal puisqu’elle se contentait de montrer ses consommateurs dans toute leur diversité et sans stéréotypes. Leur seul point commun ? Ils ont tous une vie de famille que la marque se propose d’améliorer avec ses produits.
De même, inverser l’ordre du processus de réflexion pourrait permettre de se placer créativement avant de décliner le message selon un public.
Mentalités : en cours de changement.
L’inclusion, c’est aussi une histoire de mentalités, une histoire de conversation. A laquelle nous devons tous participer. Et les hommes y sont cordialement invités. C’est ce que Gillette a fait en changeant son slogan. Ce dernier est passé de « the best a man can get » (le meilleur qu’un homme puisse avoir) en « the best men can be » (le meilleur qu’un homme puisse être) pour accompagner une vidéo dénonçant la masculinté toxique et célébrant les hommes qui agissent en faveur de l’égalité. Et malgré son 1.4M de dislikes, l’opération est un succès : 23M de vues, les commentaires affluent, le débat est lancé et la marque se félicite de voir ses ventes augmenter.
L’égalité : le nouveau défi des publicitaires.
La publicité nous a appris à manger bio, à toujours nous protéger, à aimer les trottinettes électriques, à attacher nos ceintures de sécurité, à choisir entre boire et conduire, et à réfléchir avant de prendre des antibiotiques. Son pouvoir n’est plus à prouver. Or, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Alors si maintenant, elle nous apprenait à nous respecter les uns les autres, dans notre diversité et nos différences ?
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