Parents sous pression : la faute aux réseaux ?
“Une femme sur trois ne veut pas d’enfant”*; cette étonnante statistique souligne une natalité historiquement basse pour l’hexagone et plus généralement une évolution du rapport à la parentalité.
Les individus en âge de procréer, et notamment les femmes, ont tendance semble-t-il à beaucoup plus intellectualiser le fait de devenir parent que leurs aînés. Le phénomène est d’ailleurs plus marqué chez les jeunes générations qui invoquent comme raisons principales l’angoisse de l’avenir et l’épanouissement personnel.
Mais en s’intéressant à ceux qui ont franchi le pas d’avoir des enfants, on constate que les angoisses ne disparaissent pas, au contraire elles se multiplient.
La question est la suivante :
Les réseaux sociaux sont-ils responsables de la pression excessive que les parents d’aujourd’hui semblent subir ?
Sharenting : une véritable compétition entre parents.
On observe aujourd’hui une sorte de compétition entre les parents, rendue possible par la surexposition de nos vies sur les réseaux sociaux.
Le développement des plateformes sociales, Instagram en tête, pousse les utilisateurs à travailler un personal branding pour montrer au monde la version magnifiée de leur vie. Ce storytelling s’étend désormais à leur vie de parent et la progéniture devient une sorte de vitrine qui fait briller ses géniteurs : let me introduce… le sharenting (Share + Parenting) !
Cependant les enfants ne deviennent pas des singes savants uniquement en allant à l’école. Leurs parents doivent ainsi les stimuler, les entraîner comme des athlètes, et vous pouvez découvrir leurs méthodes et leurs progrès en suivant des hashtags comme #geniuskid ou #smartkid.
Vous l’aurez compris, si votre bébé ne parle pas 5 langues avant d’entrer en CP, c’est entièrement de votre faute, parent indigne !
Transformer les enfants en adultes avant l’heure.
Les marques et publicitaires en ont bien saisi l’enjeu et imaginent des services qui transforment nos bambins en adultes avant l’heure !
La plupart concerne la lecture ou les langues, mais la démocratisation de l’usage des tablettes et smartphones chez les plus jeunes pousse le développement d’applis ludiques pour découvrir des matières moins accessibles : en 2022, 54% des enfants de cinq ans ont accès à un écran type tablette/ordinateur et 10% les utilisent plus d’une heure par jour.
Cette intensité d’utilisation est d’ailleurs très liée à celle des parents, particulièrement celle de la mère, que leurs héritiers ont tendance à imiter.**
L'algorithme de l’angoisse.
Rassurons-nous, tous les parents ne participent pas à cette compétition mais nombre d’entre eux développent de fortes angoisses quant à l’avenir du monde.
Éco anxiété, crises économiques, instabilité politique, leur objectif n’est pas de briller en société grâce à leur progéniture, mais de la préparer à une société impitoyable et compétitive.
Cette vision plutôt pessimiste du monde peut être accentuée (voire provoquée) par les biais algorithmiques des réseaux sociaux. En effet, le smartphone est devenu le support préféré des Français pour accéder à l’information, notamment via les réseaux avec facebook en tête.***
Cette tendance à délaisser les médias traditionnels, qui perdent aussi régulièrement en crédibilité, augmente à mesure que l’âge diminue.
Les réseaux sociaux déversent une quantité d’informations gargantuesques aux internautes (l’infobésité) et “incorporent une partie des conversations [et opinions] privées dans le débat public”****.
Le problème réside dans leurs algorithmes qui ont tendance à pousser la polarisation des opinions par des bulles de filtre qui induisent un biais de confirmation.
Les parents ont ainsi tendance à s’enfermer dans des groupes de personnes aux croyances homogènes qui se confortent mutuellement dans leurs angoisses.
Le “Slow Parenting”.
Si l’on a vu jusqu’ici que les réseaux auraient tendance à mettre une pression supplémentaire aux parents de cette génération par rapport à leurs aînés, ne tombons point dans la bulle de filtre et intéressons-nous à l’opinion inverse !
Tout mouvement ayant son pendant, le slow parenting a fait son apparition il y a environ cinq ans. Doctrine issue du mouvement “slow” (slow food, slow fashion…), elle se définit surtout par son opposition à l’hyperparentalité. Ses adeptes s’opposent ainsi à tous les parents angoissés, surprotecteurs et hyperactifs de manière générale. L’objectif est de se recentrer sur l’essentiel avec sa famille, en trouvant son propre rythme.
Cette idéologie transite beaucoup par les réseaux sociaux, sur lesquels des contenus poussent les parents à accepter leurs imperfections et même à moins s’impliquer dans le quotidien de leurs enfants. Ces contenus sont souvent produits par des parents eux-mêmes qui montrent, preuve vidéo à l’appui, que leur famille n’est pas plus malheureuse depuis qu’ils osent lever un peu le pied.
Des lieux d’expression pour les modèles de parentalité “alternative”.
Certains vont même plus loin, jusqu’à une sorte d’individualisme : “prendre du temps exclusivement pour moi ne me transforme pas en mauvais parent, au contraire”.
Ils considèrent qu’un parent plus épanoui élèvera des enfants plus épanouis. On voit ainsi se répandre des trends comme les #cannamoms, comprenez “cannabis mothers”.
Ces femmes revendiquent publiquement leur consommation de cannabis, pour changer la vision que la société porte sur elles et sur la weed, parfois juste pour faire de la provoc’ ou parler de leurs problèmes de santé mentale.
Au-delà des polémiques, on peut se demander si nous assisterons à une mode de parents anxieux “soignés” par le THC ? En tous cas le CBD se trouve mieux parti pour le moment en ce qui concerne le marché français.
D’une manière générale, les réseaux sociaux sont le lieu d’expression des parentalités “alternatives”, des modèles divergents de la famille nucléaire telle qu’elle s’est imposée en occident depuis le XIXème siècle (homoparentalité, triparentalité…).
#ChildFree : ce mouvement qui refuse la parentalité.
Si les réseaux ont visiblement une influence grandissante sur la notion de parentalité dans notre société, ils vont même jusqu’à influencer notre désir d’être parent. Revenons à la statistique qui ouvrait cet article : le taux de natalité français n’a jamais été aussi bas, de même pour l’envie (des femmes) d’avoir des enfants.
La dernière décennie a vu naître un mouvement appelé #childfree (libre d’enfant). Cette idéologie (à ne pas confondre avec “childless” qui désigne les couples ne pouvant avoir d’enfant mais qui en désirent) dénonce la pression que la société exerce sur les individus, les forçant à faire des enfants. Les #childfree sont majoritairement des femmes qui refusent d’avoir des enfants. La psychologue Edith Vallée identifie d’ailleurs trois profils parmi elles :
– les passionnées. Des femmes qui vivent une idylle avec leur partenaire et ne veulent pas prendre le risque de tout gâcher par l’arrivée d’un bébé. Nous pourrions également les appeler “les hédonistes”, qui pensent d’abord à leur confort.
– les femmes d’action. Elles sont souvent cheffe d’entreprise ou profession libérale et ne souhaitent pas “sacrifier” leur carrière professionnelle pour endosser le rôle de mère.
– les révolutionnaires. Ce dernier profil refuse de devenir mère pour prôner une rupture avec le système qui assigne les femmes à un rôle de génitrice puis d’éducatrice.
Peu importe la raison qui pousse ces personnes dans le choix du #childfree, elles ont toutes le sentiment de faire partie d’une minorité opprimée par la société. Comme beaucoup de minorités dans cette position, elles se retrouvent et s’organisent grâce aux réseaux sociaux qui leur servent de “safe places”.
Elles peuvent ainsi partager des opinions sans peur du jugement public et s’échanger les adresses de gynécologues tolérants. En effet, nombre d’entre-elles désirent être stérilisées mais de nombreux professionnels de santé tenteraient de les en dissuader voire même refuseraient de pratiquer certains actes.
Il est difficile d’imputer aux seuls réseaux sociaux la responsabilité de ces nouvelles pressions qui pèsent sur les jeunes parents d’aujourd’hui, cependant leur influence ne peut pas être niée. De même qu’ils semblent progressivement se placer au centre du quotidien de beaucoup de personnes, en régissant entre autres la communication, l’information, le divertissement, l’éducation notamment sexuelle, les réseaux font évidemment évoluer la façon d’aborder la parentalité.
Ces technologies ne peuvent pas en être tenues pour responsables mais elles sont un vecteur très efficace pour ajouter des charges psychologiques aux parents. Pour lutter contre, deux options semblent possibles : la déconnexion, ou affronter le phénomène sur son propre terrain, les réseaux sociaux.
*étude ELLE x Ifop 2022
**étude INSEE
***Rapport Reuters Institute 2022
****Dominique Cardon dans La démocratie Internet : promesses et limites